Nouvel épisode dans le dossier Helvet Immo
La Cour de Cassation s’est refusée depuis de nombreuses années à reconnaître que la complexité du montage Helvet-Immo (prêt immobilier remboursable en euros, à échéances constantes, mais indexé sur le Franc suisse, commercialisé hors réseau par BNP Personal Finance uniquement par des courtiers commissionnés) rendait illisible l’étendue du risque – illimité en l’espèce – souscrit par les emprunteurs.
Schématiquement, dès que le cours du franc suisse augmente, la fixité de l’échéance a pour effet de rallonger la durée du prêt dans des proportions importantes.
Ces emprunts ont été proposés entre 2007 et 2008, le taux de change était alors d’environ 1,60 CHF pour 1 €.
Ce taux de change a ensuite constamment baissé et se situe entre 1,05 et 1,1 depuis 2015, et à environ 1,3 depuis 2011.
La conséquence pour les emprunteurs est que la durée initiale de remboursement de l’emprunt a quasiment doublé avec des échéances équivalentes.
La BNP Paibas Personal Finance a été condamnée le 26 février 2020 par le Tribunal Correctionnel de Paris pour pratique commerciale trompeuse, mais la Banque a interjeté appel de la décision.
Certains consommateurs avait choisi la voie civile pour être indemnisé, sans succès jusqu’alors.
Néanmoins, après une question préjudicielle devant la Cour de Cassation, cette dernière a soumis plusieurs questions sur la conformité au droit européen à la CJUE (Cour de Justice de l’union Européenne).
Celle-ci a statué dans plusieurs arrêts du 10 juin 2021.
- 1) L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, doit être interprété en ce sens que les clauses du contrat de prêt qui stipulent que les remboursements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités relèvent de cette disposition dans le cas où ces clauses fixent un élément essentiel caractérisant ledit contrat.
- 2) L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que, dans le cadre d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, l’exigence de transparence des clauses de ce contrat qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, l’allongement de la durée dudit contrat et l’augmentation du montant des mensualités, est satisfaite lorsque le professionnel a fourni au consommateur des informations suffisantes et exactes permettant à un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, de comprendre le fonctionnement concret du mécanisme financier en cause et d’évaluer ainsi le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur ses obligations financières pendant toute la durée de ce même contrat.
- 3) L’article 3, paragraphe l, de la directive 93/13 doit être interprété en ce sens que les clauses d’un contrat de prêt qui stipulent que les paiements à échéances fixes sont imputés prioritairement sur les intérêts et qui prévoient, afin de payer le solde du compte, lequel peut augmenter de manière significative à la suite des variations de la parité entre la monnaie de compte et la monnaie de paiement, l’allongement de la durée de ce contrat et l’augmentation du montant des mensualités, sont susceptibles de créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant dudit contrat au détriment du consommateur, dès lors que le professionnel ne pouvait raisonnablement s’attendre, en respectant l’exigence de transparence à l’égard du consommateur, à ce que ce dernier accepte, à la suite d’une négociation individuelle, un risque disproportionné de change qui résulte de telles clauses.
Cette réponse de la Cour est interessante en ce qu’elle range dans la catégorie abusive les clauses qui définissent la modalité d’imputation des mensualités au remboursement du capital de ces prêts Helvet Immo (conséquence: pas de prescription pour que le consommateur agisse en nullité de ces clauses), et qu’elle fait reposer sur sur la BNP Personnal Finance la charge de la preuve d’une information suffisante dispensée au consommateur.
Le dernier apport de ces arrêts est plus subtile: les tribunaux devront apprécier quelle serait la position d’un consommateur moyen qui aurait été suffisamment informé des risques qu’il encourait réellement en souscrivant à l’emprunt: aurait-il ou non accepté ou se serait-il tourné vers un autre financement ?
Peut-être faudra-il-recourir à un sondage ? Ou bien les juges estimeront ils suffisants de constater qu’une variation de CHF de 10% (ce qui demeure minime) augmentait la durée du prêt de 20%, alors que l’information donnée limitait l’hypothèse de la hausse à 5%, et que la réalité a été une augmentation de 50% du CHF qui a conduit à ce que les emprunteurs doivent rembourser 2,19 fois le montant prévu initialement, pour en déduire qu’un consommateur moyen normalement avisé aurait fui ce genre de prêt s’il en avait vraiment connu les conséquences ?
Réponses dans les décisions à venir.